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Entretien réalisé par l'Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord
Résidence au Centre Hospitalier Vauclaire de Montpon-Ménestérol, centre culturel ZAP'ART
2010

Certaines influences artistiques guident-elles ou alimentent-elles votre travail ?

Oui, comme tous les plasticiens ! Nous sommes conscients d'être formatés d'une certaine manière par l'enseignement que nous avons reçu. Nous sommes également conscients d'être les produits de notre époque, à savoir les victimes/bénéficiaires de la transversalité. Nos influences proviennent des arts plastiques, de l'architecture, de la littérature, du design, du graphisme, de la scénographie, de la musique, du cinéma, des bandes-dessinées, et bien sûr aussi de la télévision (laquelle nous demande quelques petits efforts supplémentaires !). Certains artistes nous inspirent pour leurs choix. Nous pouvons être intéressés par des artistes de notre génération qui débutent. Nous sommes particulièrement ouverts à toute chose, simplement parce que nous travaillons sans complexe avec le monde et l'époque qui nous entourent.


Qu’est-ce que « travailler ensemble » une démarche artistique ? Comment définiriez-vous le fonctionnement de votre processus de création ?

Ayant fait nos études dans la même école, nous avons commencé par échanger et critiquer nos travaux respectifs. Nous avons découvert que nous partagions des directions et des interrogations qui pointaient dans le même sens. Nos points communs et nos différences pouvaient nourrir nos démarches (l'une abordant les notions d'espace, l'autre étant porté sur l'objet), notre collaboration s'est trouvée être une évidence. Notre protocole de travail est assez similaire à celui d'une agence ou d'un bureau : l'un apporte une idée, nous en discutons, puis la déployons pour en percevoir les enjeux et les limites. Nous déterminons ensuite la (les) voie(s) à exploiter avant de passer à la réalisation. C'est la discussion qui guide tout le déroulement du travail.


La déstructuration et la restructuration sont parties prenantes de vos expressions artistiques respectives : comment cela participe t-il d’un questionnement plus large sur le langage et les signes ?

Déstructurer et restructurer sont les deux réactions saines qui sont à la base de toute pensée. Nous abordons le monde environnant et nous le reformulons, avec notre vocabulaire plastique, comme tout plasticien, mais en fait comme toute personne pensante qui essaie de comprendre le monde. Déconstruire et reconstruire, c'est ce que l'on fait enfant. Nous travaillons essentiellement sur les signes, et nous sommes convaincus que le signe est un objet collectif et individuel. Un objet de communication qui crée du lien et de la différence. Il est un bien collectif que nous devons apprendre à maitriser et à formuler. Parallèlement, un langage est un outil individuel, il permet de s’exprimer; et peut être personnalisé, modifié, brisé. Nous savons tous que le signe n'est pas la chose qu'il représente, il nous en écarte et d'ailleurs nous en protège. Mais à notre époque, le trop-plein de signes et de sens nous plonge dans un environnement multi-référentiel et polysémique dans lequel nous pouvons nous perdre si nous n'avons pas les clés pour le lire et le comprendre. Et dans ce cas, nous perdons la notion de la limite existant entre le signe et la chose. Et c'est justement sur ce trouble que nous travaillons, c'est cette faille que nous exploitons. Par exemple, nous avons un projet appelé PANAVISION, qui n'est pas encore réalisé. Il s'agit d'un drapeau français imprimé sur une plaque en métal au format panavision (200 x 80 cm), sur lequel le mot « panavision » est écrit avec des impacts de balles. Le fait de tirer au fusil sur le drapeau est un acte puni par la loi. On dit que des individus se sont battus et d'autres sont morts pour lui, mais c'est faux. Personne n'est mort pour trois couleurs, mais exactement pour ce à quoi il fait référence et toutes les valeurs qu'il représente. Malmener ce drapeau à coup de fusil pour y écrire panavision (un champ de vision le plus ouvert possible), c'est travailler le signe pour lui donner du sens, augmenter sa valeur polysémique. Tout cela sera dit et perçu par des signes, mais au fond on sait que l'on parle de la vie, et non de son moyen de représentation. Ce dernier est libre de droit, nous avons le devoir de nous le réapproprier et de le faire parler, dans la mesure où cela reste par la suite partageable.


Quelles oeuvres réalisées avant votre arrivée en résidence présenterez-vous au début de votre séjour ?

La sélection que nous avons faite est déterminée par un choix de pièces mettant en jeu notre pratique globale dans les frontières floues entre installation, sculpture, objet et 2D. Nous ne savons pas quelle sera la forme de cette exposition, car nous savons tous qu'une oeuvre sera perçue à travers le lieu dans lequel elle se trouve et par l'interaction avec les autres oeuvres. Ce que nous savons à priori, c'est qu'elles vont créer un environnement par leur simple coexistence, et parce qu'elles abordent des notions d'espaces et de temps réels, inaccessibles, imaginés et virtuels.


Qu’attendez-vous de cette première entrée en matière ?

Tout ce que l'on peut attendre d'une entrée en matière ! Une première présentation de notre travail au public qui viendra voir cette exposition, une première rencontre avec les patients et le personnel soignant à travers le prisme de notre travail, une première appréhension des lieux pour la résidence à venir. Cette exposition porte réellement ce rôle de simple présentation : elle est simple et nous présente.


Qu’est-ce qu’ « habiter un lieu » lors du temps de recherche qu’est la résidence ?

Le phénomène de résidence s'est développé au fil des années, comme phénomène artistique, mais aussi de communication, économique, géographique, relationnel et personnel. Si ces conditions deviennent d'usage, l'erreur serait de penser que cela est évident et naturel. Les artistes (toutes catégories confondues) sont les seuls travailleurs à répondre à ce type configuration, aujourd'hui admise. La seule comparaison possible serait la mission, que ce soit pour un ouvrier sur un chantier ou un commercial pour de la vente dans son pays ou à l'étranger. La délocalisation est un fait global, et les artistes le vivent pour le meilleur et pour le pire. La situation de résidence est à chaque fois un lancer de dés, on ne sait jamais comment cela va se passer, car il est question de relationnel, comme dans tout travail ; mais aussi parce que l'on vit ailleurs que chez soi. Simplement, le soir, on ne retrouve pas son environnement, ses proches, sa ville (il paraît que ces données sont parfois sources d'équilibre pour certains !). Cela peut être aussi angoissant qu'excitant. La difficulté réside dans le fait que l'on va habiter un lieu temporairement ; un entre-deux parfait. Comme dans tout lieu ayant un usage, des usagers et des signes qui le codifient, on s'adapte et on le fait sien. Tout en sachant que cela n'est que transitoire. Et il faut alterner entre le besoin d'étrangeté (qui ouvre à la nouveauté, à la découverte, à la rencontre et, dit de manière grossière, à l'inspiration) et le besoin du familier (retrouver ses repères et son équilibre, ses conditions de travail et sa vie personnelle). Cet équilibre est à trouver, c'est l'un des enjeux, mais il peut parfois être trop souvent perçu comme acquis. Dans le même temps, c'est une chance énorme de bouger, de découvrir, de rencontrer. Toute l'ambiguïté vient aussi qu'une résidence mêle la vie privée et le travail, le plus naturellement du monde. Même si le métier d'artiste les mélange souvent, cela donne tout de même à réfléchir.


Votre travail s’effectue en partie sur l’appropriation de l’espace et des signes qui le structurent ; dans un univers aussi normé et signalisé que celui de l’hôpital, comment appréhendez-vous les particularités de ce lieu de résidence ?

Comme n'importe quel lieu ayant ses fonctions, ses usages, ses usagers et les signes qui le codifient. En fin de compte, un espace normé et signalisé comme un hôpital est motivé par la fonction du soin, mais aussi par une volonté de rééducation au signe. L'hyper-signalisation retisse des liens entre le patient et la norme, et écrit un équilibre par la règle pour se repérer, se trouver et s'en affranchir par la suite. Le signe est autant aliénant que libérateur, mais c'est sa maîtrise et son articulation qui fait la différence, pour devenir autonome dans un espace extérieur à l'hôpital où les signes et les normes sont tout autant présents, explicitement ou implicitement.


Vous avez effectué des séjours en résidence à la Maison Jean-Chevolleau, à Fontenay-le-Comte, en 2008 et à Saint-Jean Port-Joli, au Québec, en 2009. En quoi cela peut-il influencer votre prochaine expérience à l’Hôpital Vauclaire ?

Jusqu'à aujourd'hui, ces résidences ont toujours été collectives, partagées avec d'autres artistes. Cette résidence est notre première résidence individuelle, et elle conduit forcément à quelque chose proche de l'introspection et de la recherche, sans autre influence que le lieu et ses usagers. Il y a une véritable rencontre, une osmose en perspective. D'ailleurs, la nature du lieu, un hôpital psychiatrique, s'y prête on-ne-peut-mieux. Il s'agit d'une expérience inédite pour nous, sur ces deux points. Par ailleurs, comme si la nouveauté de cette résidence ne nous suffisait pas, nous allons procéder à un nouveau type de protocole de travail. Seul l'un d'entre nous sera présent sur place lors de cette résidence : l'un in situ, l'autre à distance. Le duo nous permet cette configuration, mais le lieu nous y invite également. Tous les a priori que peut contenir et impliquer un hôpital psychiatrique, nous invitent à modifier notre manière de travailler, pour explorer ce qui est de fait et ce qui est de l'ordre du fantasme et de l'ignorance. L'un aura quelque chose de l'envoyé spécial et l'autre du rédacteur. Deux regards, intérieur et extérieur, deux approches différentes où la confrontation et l'échange seront les clés de voûte de nos propositions.



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