Revue Area 27 / Le couple à l'œuvre
Entretien avec Emilie Bouvard
Paris, juin 2012
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Sandra Aubry et Sébastien Bourg construisent depuis plusieurs années une œuvre duelle dans le champ de la sculpture, de l’installation, des arts graphiques et, plus rarement, de la vidéo. Leur travail a d’abord reposé sur des mises en situation spatiales et des formes que l’on pourrait décrire comme des schèmes, souvent géométrisés, parfois minimales, décrivant et faisant éprouver en sourdine des zones d’absence affectives ou sociales. Depuis quelques mois, leurs propositions plastiques tendent à faire jaillir ce qui sourdait sous la formalisation froide des affects, grâce à l’introduction d’éléments narratifs (Système McCormick, 2012), en suggérant de l’événement (série des Catastrophes, 2012), ou en inventant des formes au symbolisme de plus en plus ambigu (Golem, 2012, Le Cyclope, 2011).


Emilie Bouvard : Depuis combien de temps travaillez-vous ensemble et comment cette collaboration s’est-elle mise en place ? Comment la nommez-vous ?
Sandra Aubry : Nous travaillons ensemble depuis 2006. Cela s’est fait lors de notre rencontre à l’Ecole des Beaux-Arts de Rennes, où nous avons réalisé en commun quelques projets d’installation et de scénographie. Nous nous sommes vite rendu compte que nous aspirions aux mêmes recherches.
Sébastien Bourg : Notre collaboration est un « duo » car … nous sommes deux. L‘appellation est évidente, à l‘image de sa mise en place.

E. B. : Lorsque vous avez commencé à travailler ensemble, vous formiez un couple. Vous ne l’êtes plus et vous travaillez toujours ensemble. Cette évolution a-t-elle influé sur le processus créatif ?
S. B. : Travailler en couple impose des conditions de travail où tout se mélange dans un même mouvement, 24 heures sur 24. Il faut donc poser des frontières entre la vie privée et la vie professionnelle pour préserver des relations identifiables et ne pas s’y perdre.
S.A. : Aujourd’hui, l’organisation est de fait plus définie et efficace. Mais c’est la chose seule qui ait changé. La base de notre collaboration est toujours la même, basée sur la discussion et la confrontation des idées inscrites dans une perspective commune. Il y a une évidence dans notre duo qui fait que rien, semble-t-il, ne peut l’écorner, à moins que nous le décidions.

E. B. : Pourquoi travaillez-vous ensemble ?
S. B. : Il faut vraiment voir notre collaboration comme une entreprise qui porte les mêmes objectifs et convictions. Nous avons les mêmes bénéfices que tout travail en équipe. Nous sommes en situation de nous remettre constamment en question à travers le regard de l’autre, nous nous aidons dans les moments de doutes, et nous en apportons quand l’autre est trop sûr de lui.
S.A. : Concrètement, à tout projet préexiste des échanges assez poussés qui nous poussent à percevoir des directions que nous n’aurions pas imaginées seuls. Au moment des choix, nous essayons alors de trouver l’équilibre entre la diversité de points de vue et une certaine spontanéité.

E. B. : Pensez-vous qu’un travail artistique commun implique un imaginaire commun ?
S.B. : Non, c’est la confrontation tacite et conflictuelle de deux imaginaires qui en créent un seul. A l’usage, ils peuvent se rapprocher, s’apprivoiser.
S. A. : En fait, nous sommes 2 et 1 à la fois, ce qui donne 2 cerveaux, 4 mains, à peu près le même nombre d’oreilles, et un jugement final unique plus sévère pour une remise en question permanente.

E. B. : Du point de vue du système marchand et social de l’art, quelles conséquences votre situation implique-t-elle, non seulement sur le plan financier, mais aussi quant à la question de la « figure d’artiste » ?
S.A. : Tout est divisé en deux, le pourcentage comme la paternité des pièces, et du coup la charge de travail.
S. B. : Nous pensons avoir une image assez identifiable à présent. Il est plus question de la reconnaissance de notre travail que celle de notre fonctionnement.
S. A. : Les gens s’obstinent parfois à vouloir savoir qui fait quoi, alors qu’ils ne se poseraient pas la question pour une agence de designers ou d’architectes. C’est pourtant la même chose. Cette résistance est assez étrange pour nous, et surtout décalée par rapport à la réalité des artistes, sachant par exemple que bon nombre d’entre nous peuvent ne pas réaliser leurs œuvres eux-mêmes, en faisant appel à des entreprises, des artisans ou à d’autres artistes.

E. B. : Votre duo d’artistes peut-il envisager d’être un « couple libre » ?
S. A. : Le contrat est simple parce qu’il n’y en a pas. Nous partageons un ensemble de conceptions et une sensibilité qui se croisent. Notre collaboration pourrait s’arrêter un jour, si nos envies divergeaient. Nous ne le souhaitons pas, car nous commençons maintenant à avoir un terreau de réflexions solide.
S. B. : Il se trouve qu’à chaque fois que l’un propose un projet, l’autre rebondit dessus presque immédiatement. Au pire, un projet sera mis de côté, et sera ressorti des cartons par celui qui l’a apporté … avec des arguments plus convaincants.



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