Article de Caroline Boudehen sur l'exposition "Après tout rien" / Galerie de Roussan, Paris
http://www.caromaligne.com/
Avril 2012




Sandra Aubry & Sébastien Bourg "Après tout, rien "

Je ne me rappellerai pas.
Alors tout est possible. Sandra Aubry et Sébastien Bourg sont à la Galerie de Roussan jusqu’au 5 mai 2012.

« Je ne me rappellerai pas » sont les premiers mots que l'on voit depuis l'extérieur de la galerie.

Inscrits sur la paroi en verre, postés à la frontière de l'exposition, ils sont les mots d'un futur énigmatique. Sandra Aubry et Sébastien Bourg annoncent avec ce constat un territoire nouveau, et fonctionnant sur lui-même. Un système, dont les éléments n'auront de rapports et de conséquences qu'entre eux.
Sorti du lieu, « Je ne me rappellerai pas ».

« Après tout, rien » est ainsi une exposition en forme de vision, de rêve, un territoire vaporeux construit autour d'œuvres déroutantes.

Une stèle en granit, une corde et une échelle (Escape), un miroir muni de poignées de cercueil (A Far l'amore comincia tu, und tanza Samba mi mir), deux parties d'un puzzle (No Signal et More no Signal) … Le rez-de-chaussée est le théâtre d'une mise en scène énigmatique dans laquelle les éléments sont chargés de sens, et génèrent l'impression de pénétrer un début de récit, le souvenir d'un voyage peut-être, dans une dimension autre.

vue de l'installation Where. When. Well, 2008 - Impression numérique

A côté de la porte, au commencement, il y a des montgolfières.
Where. When. Well. De quoi nous emmener faire le tour d'un monde.



Escape



vue de l'installation Escape, 2009 - Sapin, bardeau



Souvenir du futur ou espace transitionnel ?


Les jeux de rapports entre matières et formes qui constituent certaines œuvres (l'échelle et la corde par exemple), l'appropriation et le détournement d'objets fonctionnels selon une logique qui relève de l'absurde nous conduisent à abandonner nos références, et viennent empêcher toute rationalisation : une échelle et une corde dont on ne peut se servir - mais dont le titre Escape nous le donne à penser - faute d'être conçue dans la matière adéquate, et qui donc ne peuvent être d'aucun secours dans cet univers-ci, le nôtre, le tangible. Des poignées de cercueil sont accolés à un miroir, dont ce dernier nous rappelle une salle de danse (macabre ?), une stèle funéraire posée sur le sol il est écrit que « La planète entière est à nous » A qui s’adresse-t-elle ? ... Depuis le sous-sol une horloge sans aiguille n'indique donc pas l'heure mais son bruit. Comme dans un rêve (et dans la réalité?) le temps ne se maîtrise pas il se ressent.

Parfum d'absurdité... surréaliste ou cauchemardesque ?



vue d'installation Stèle, 2012 - Granit



Tout ici s'adresse à des méridiens inspirés et liés à la littérature de l'absurde.
On pense bien évidemment à Lewis Carroll, et Alice découvrant, testant peu à peu au fil de ses pérégrinations les bizarreries d'un monde « merveilleux ». Celui de l'autre côté du miroir. Drôle et angoissant, excitant et inquiétant.

Là où la folie est matrice.



La Menace ne venait pas du ciel. Elle se reflète dans le miroir.

vue  d'installation La Menace ne venait pas du ciel, 2011 - Gravure au pointeau sur verre trempé



Quelle est cette menace? D'où va-t-elle donc venir? Où ? Quand ?...



vue d'installation A far l'amore comincia tu, und tanze Samba mit mir, 2011 - Miroir, poignées de cerceuil

Le Miroir rassemble le rez-de-chaussée à lui-même : il se fait condensé de la Danse, de la Mort, du Temps. Les œuvres se répondent entre elles, en même temps qu’elle sont des satellites, gravitant autour de Quelque chose. Un Cyclope ?



… Au sous-sol, trônant au centre de la salle, cette sculpture en granit noir rappelle le fameux Polyèdre de Dürer, forme mystérieuse et bien connue dans l'histoire de l'art. Le Polyèdre est tiré de sa célèbre gravure, dont l’atmosphère est ici évoquée. Melancholia I, œuvre au sein de laquelle les éléments symboliques sont multiples et s'appellent les uns les autres pour composer un ensemble symbolique complexe.
Plus que graviter autour du « polyèdre » de Sandra Aubry et de Sébastien Bourg, on y est attiré irrésistiblement : un œilleton y est incrusté, dans lequel on ne peut s’empêcher de regarder mais au bout duquel il n'y a ... rien.



Du moins, nous n'y voyons rien, mais où nue possibilité de découvrir le cœur de cette forme énigmatique est pressentie.



vue d'installation Le Cyclope, 2011 - Petit granit noir, oeilleton



A côté du Cyclope, dans une salle noire, tourne sur lui-même un Christ pris dans un logiciel 3D (Verbatim)...



L'ensemble de l'exposition est ponctuée par des phrases - Dématérialise-moi ça !, Ni premier, ni dernier, ni même au milieu, Objects in mirror are closer than they appear, … ce qui confère un ton narratif à l'ensemble, et lie les œuvres entre elles, au moyen de constats, d’un passé, d’un futur, d’une histoire.

Les lois appliquées à ce monde étrange ne correspondent pas à ce que nous connaissons, les rapports faussés nous conduisent à considérer cet espace-temps comme celui de tous les possibles.

Les imaginer et les considérer, les envisager comme postulats.

Et n'oublions pas, nous ne nous rappellerons pas... « La planète est (donc) à nous les gars ! La Planète entière ».



Caroline Boudehen

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------